Vous avez récemment trouvé le contrat de certaines œuvres de Roque Balduque dans les archives historiques provinciales de Séville, expliquez-moi comment vous avez fait cette découverte.
-Je fais des recherches sur les femmes du XVIe siècle et je me suis penchée sur l’année 1559. Je cherchais un indice sur une religieuse de Santa Paula. Je ne l’ai pas trouvé, mais je suis tombée sur le contrat d’exécution des trois images de la Vera Cruz de Lebrija. Il s’agissait du Christ, de la Vierge et de l’Enfant. Quand je l’ai vu, j’ai contacté la confrérie via Twitter. Je l’ai trouvé le lundi 10 avril. Le jeudi, le frère aîné est venu, je lui ai montré le document et j’ai fait le nécessaire pour lui donner une copie imprimée.
-Que signifiait cette découverte ?
-On pensait que le Christ était de Balduque, surtout après une restauration effectuée à l’Institut andalou du patrimoine historique (IAPH), car on a constaté qu’il répondait aux caractéristiques de cet auteur. Cependant, la Vierge a été attribuée au cercle de Juan de Mesa, qui date du XVIIe siècle. Le fait que la Vierge se trouve dans ce contrat a été une surprise. Il est vrai aussi que l’image a pu subir de nombreuses modifications au fil du temps. Aujourd’hui, il n’y a plus de doute quant à sa paternité. Nous avons les trois images principales dans le même contrat. Elles coûtent au total 24 000 maravédis. Tout est expliqué dans les moindres détails, décrivant le poids, les dimensions…
Et qu’est-ce qu’on vous a dit à Lebrija ?
-À Lebrija, il s’est passé quelque chose d’important. Comme ils croyaient que la Vierge était de Juan de Mesa, il y a maintenant une sorte de débat dans lequel je n’entre pas. J’ai participé à un programme de la télévision locale et on m’a posé des questions sur l’interprétation artistique, mais ce n’est pas mon domaine. Je peux seulement prouver qu’elle est de Roque Balduque, parce qu’il y a un notaire, trois ou quatre témoins et deux frères aînés qui figurent dans le contrat.
Êtes-vous tenté de vous consacrer à l’histoire des confréries ?
-Non, non, je ne fais pas ça. Vous pouvez tout voir ici. Nous sommes dans des archives qui contiennent tous les protocoles notariaux de Séville. On peut y trouver un contrat de travail, un contrat d’esclave, un testament… Pour moi, c’est un document comme un autre, mais pour la confrérie, il est important, non seulement en raison de son auteur, mais aussi parce que les noms de deux frères aînés y figurent.
Et pour les historiens de l’art aussi, je suppose, n’est-ce pas ?
-Oui, il y a des spécialistes de Roque Balduque ici, et pourtant ce dossier était passé inaperçu. Il se trouve que ce contrat n’a pas été vu. Presque toutes les œuvres de Balduque étaient enregistrées et celles-ci ne l’étaient pas. C’était à moi de les retrouver.
-J’avoue que j’ai vu le document lorsque vous avez posté une image et que je n’ai rien compris…
-Il est écrit dans un script procédural qui était utilisé de la fin du 15ème au 17ème siècle. Il faut de l’entraînement pour le comprendre. Quand je suis arrivé ici, il me fallait un mois et demi pour lire un dossier. Aujourd’hui, cela ne me prend qu’une matinée. Il faut venir souvent et garder les yeux ouverts, car chaque scribe a sa propre écriture, avec ses propres caractéristiques.
Ils en feront au moins une sœur honoraire de la Vera Cruz de Lebrija, n’est-ce pas ?
-Hahaha… Ce n’est pas la peine, s’ils me payent une bière, je serai content.
Et maintenant, qu’allez-vous faire de ce document ?
Eh bien, je ne sais pas, je suppose que la confrérie voudra le présenter lorsque cela sera possible, peut-être produire une édition en fac-similé, une sorte de conférence…. Un gâchis auquel je ne m’attendais pas, mais qui est une très bonne chose en termes de recherche.
-Changement de sujet, vous êtes du quartier de Palmete…
-Je suis de Palmete et je suis fier d’être de Palmete, même si je n’y habite plus. Mes parents ont construit leur maison. Je viens d’une famille très modeste, ma mère a commencé à travailler à l’âge de huit ans. Ils ont fait tout leur possible pour que j’étudie. Je suis la seule de ma classe à avoir obtenu un diplôme dans le quartier. Tous mes amis ont abandonné l’école. Je sais qu’il y a des gens plus âgés que moi qui l’ont fait, mais parmi les générations suivantes, il y a beaucoup moins d’étudiants universitaires. Il y a eu une régression dans ce domaine.
Comme la plupart des quartiers de Séville, Palmete a décliné ces dernières années, ne pensez-vous pas ?
-Dans les années 80 et 90, il y avait des associations de jeunes, nous faisions beaucoup d’activités et les gens étaient très impliqués socialement. Tout cela a disparu. Il n’y a plus de lutte. Avant, il se passait n’importe quoi et nous allions tous manifester. Aujourd’hui, il n’y a plus qu’une association de résidents très politisée et c’est tout. Les gens qui ont fondé le quartier n’existent presque plus. Les enfants vendent les maisons de leurs parents parce qu’ils ne veulent plus y vivre. Nous n’allons pas payer une hypothèque pour que la maison vaille moitié moins dans vingt ans.
-Et vous êtes aussi écrivain, comment se présente cette facette de romancier qui est la vôtre ?
-J’ai écrit mon premier roman en 2013, après avoir quitté un emploi. Je l’ai fait presque comme une thérapie. Mais ensuite, j’ai eu des épisodes d’écriture automatique. J’avais l’habitude de rire de ces choses jusqu’à ce que cela m’arrive. J’ai écrit quatre romans et deux recueils de nouvelles. Je ne choisis pas quand j’écris, ni les noms des personnages, ni le sujet, ni quoi que ce soit d’autre.
Les matins de l’archive
Laura Tinajero Márquez (Séville, 1982) est une personne hyperactive. Écrivaine, enseignante et historienne, elle dit lutter contre l’oisiveté en se rendant aux archives historiques provinciales de Séville. Là, parmi les dossiers, elle passe les heures sans que le temps ne semble s’écouler pour elle. Elle est diplômée en sciences humaines de l’université Pablo de Olavide. Elle a créé une académie d’anglais qui a dû fermer après la pandémie. Elle prépare actuellement un concours pour devenir professeur dans le secondaire. Et elle est très active sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter.