Nous n’avons de cesse de vouloir considérer les Séville comme une ville de contrastes, plutôt que de dualité. La dualité existerait s’il n’y avait que deux visages, mais heureusement, dans notre ville, tout se manifeste comme un kaléidoscope, et celui qui ne la contemple pas à travers l’une de ses lentilles ne comprendra pas la réalité absolue de son caractère et de sa personnalité.
Ceci Dimanche, le dimanche de la joie, le monde des confréries se réveille en rêvant de fantômes.. Oui, des fantasmagories au cœur du Carême, des silhouettes irréelles qui, pendant quelques minutes, apparaissent en chair et en os – et en illusion – parmi les orangers de San Juan de la Palma. La façade qui rappelle les marbres du palais d’Hérode s’ouvre vers midi, et de son intérieur abyssal sortent ces créatures presque mythologiques qui, après tout, sont essentielles pour contextualiser le sceau d’une confrérie.
Un peu plus tôt que les autres années, mais toujours avec cette lumière caractéristique que l’on ne peut voir qu’un matin, la famille Villanueva a fait élever le paso avec les figures secondaires qui accompagnent Jesús del Silencio de la Hermandad de la Amargura tous les dimanches des Rameaux. Les célèbres « fantômes », images secondaires de ce superbe paso de misterio, abandonnent leur état de prostration. pour parcourir plusieurs mètres avant de franchir le linteau de San Juan de la Palma. Les cofrades (confréries) et les plus aficionados du costal signalent cette date comme incontournable dans leur calendrier particulier car elle marque aussi un tournant dans le Carême le plus visuel et le plus esthétique. Et bien que cette mudá ne soit en aucun cas une pratique nouvelle ou récente, de plus en plus de curieux se pressent autour des commandes de Manolo Villanueva, qui connaît si bien ce paso de misterio qu’il le dirige presque le dos tourné, regardant devant lui comme un pénitent parmi d’autres.
À l’intérieur de San Juan de la Palma, le paso de palio de l’Amargura se dessine peu à peu : le candélabre est déjà coulé et, à quelques détails près, tout est prêt pour que la Vierge douloureuse et saint Jean prennent la place qui leur revient. Lorsque les portes de l’église se ferment, il y a un air de malaise, d’incertitude et d’inquiétude dans les regards, causé par ce besoin impérieux qu’ont les êtres humains de vouloir arrêter le temps d’autant plus qu’il est fugace…