lun. Nov 18th, 2024

Luigi Lodovico Pasinetti a été l’un des économistes les plus originaux et radicaux à proposer une alternative au paradigme économique dominant. Tout au long de sa longue carrière, il a cherché à construire une théorie aussi rigoureuse que possible et en même temps réaliste, capable d’indiquer la voie d’un développement équitable, fondé sur la priorité du travail humain dans toutes ses dimensions. Professeur émérite de l’Université catholique du Sacré-Cœur, académicien des Lincei et membre de l’Académie pontificale des sciences, Pasinetti a été au centre de vastes débats, affrontant souvent avec succès les plus grands économistes du XXe siècle, dont de nombreux prix Nobel. Né à Zanica, dans la région de Bergame, le 12 septembre 1930 dans une famille d’origine modeste, Luigi est décédé à l’âge de 92 ans le 31 janvier à Varèse. Après avoir obtenu son diplôme avec mention en 1955 à l’Université catholique sous la direction de Francesco Vito et Siro Lombardini, Pasinetti a poursuivi ses études à Cambridge en Angleterre (avec des périodes d’études également à Harvard et Oxford). À Cambridge, Pasinetti fait partie du groupe d’économistes qui se consacrent au développement des idées de John M. Keynes, le père de la macroéconomie moderne, en étendant son analyse aux questions de croissance et de distribution des revenus. C’est également là que Pasinetti rencontre Piero Sraffa, un critique acerbe de la théorie néoclassique et partisan d’une interprétation moderne des idées des économistes classiques (Smith, Marx et, en particulier, Ricardo). De ces deux inspirations émerge le programme de recherche que Pasinetti poursuivra toute sa vie : la construction d’une synthèse entre les paradigmes classique et keynésien, d’une théorie capable d’analyser la structure et la dynamique des systèmes économiques industriels, offrant une boussole pour la réalisation d’une distribution équitable de la richesse et du plein emploi. Entre une investigation purement macroéconomique (centrée sur les grands agrégats) ou purement microéconomique (centrée sur le comportement des entreprises et des consommateurs), Pasinetti a adopté une perspective que nous pourrions appeler « mésoéconomique ». L’économie est en effet composée de nombreux secteurs économiques, interconnectés, mais caractérisés chacun par une dynamique spécifique en termes de progrès technologique et d’évolution de la demande. De l’interaction de ces dynamiques sectorielles émergent des tendances macroéconomiques et des objectifs à poursuivre, tant au niveau sectoriel que pour l’économie dans son ensemble. Cette analyse multisectorielle, que Pasinetti appelle « dynamique structurelle », explique de manière simple et directe comment les systèmes industriels modernes ne sont pas automatiquement capables de réaliser tout le potentiel de bien-être et de croissance que l’évolution de « l’apprentissage humain » rend progressivement disponible. Le progrès technologique, résultat de la connaissance et de ses applications, augmente la productivité du travail et, avec elle, la quantité et la variété des biens et des services ; cependant, les besoins de consommation tendent à saturer ou, en tout cas, à croître moins que la production, ce qui réduit la demande de travail et crée du chômage technologique. D’autre part, les limites des ressources naturelles et la préservation de l’environnement rendent impossible une croissance économique basée sur l’expansion continue de la demande. Pour Pasinetti, les déséquilibres de la dynamique structurelle ne peuvent pas être résolus, sauf dans une faible mesure, par des mécanismes d’ajustement des prix et une réduction généralisée des salaires : au contraire, pour éviter l’apparition du chômage technologique, il est nécessaire que les salaires et les traitements augmentent au rythme de la productivité, en soutenant le pouvoir d’achat des ménages. Plus généralement, M. Pasinetti souligne la nécessité de prendre des mesures pour faciliter les processus de mobilité intersectorielle de la main-d’œuvre, former continuellement les travailleurs et réduire les heures de travail. Des politiques fiscales et monétaires sont nécessaires pour réguler la demande globale et la distribution des revenus ; des politiques de régulation financière pour canaliser le bon flux d’épargne vers des investissements réels plutôt que purement spéculatifs ; des politiques industrielles pour faciliter le développement des secteurs les plus stratégiques d’un point de vue de l’emploi, social et technologique, dans une perspective à long terme. Pasinetti était un croyant. Sa foi vécue de manière discrète, sans divisions artificielles entre la foi et la vie, était pour lui « le » point de vue à partir duquel regarder la réalité. Souvent en opposition avec l’approche dominante, Pasinetti a cherché à montrer comment la théorie économique doit et peut s’ouvrir aux principes et aux questions que posent l’éthique et la doctrine sociale de l’Église, sans s’enfermer dans un système intellectuel autosuffisant qui croit pouvoir établir et réaliser seul ses propres conditions d’efficacité et d’équilibre, grâce à la main invisible du marché. Au contraire, l’approche de Pasinetti est ouverte aux contributions de toutes les sciences sociales et conçoit une économie dont les objectifs et les instruments doivent être définis, au moins en partie, en dehors de celles-ci, sur la base de valeurs et d’objectifs partagés et poursuivis avec des instruments autres que le marché. Pour Pasinetti, le centre de l’économie est la personne humaine et c’est sur cette personne, sur sa dignité, sur son travail que doit se mesurer la valeur des biens autant que les objectifs et les mécanismes qui régissent le marché. Une leçon, celle de Pasinetti, qui suscite l’espoir de ceux qui appellent à un profond renouvellement de la théorie et de la pratique économiques et qui croient que l’économie peut et doit être orientée vers la prise en charge du bien commun.

By Nermond

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *