Ce n’est un secret pour personne que ces derniers mois, surtout après la reprise de la pandémie et la suppression des mesures les plus restrictives, le monde des confréries a connu une augmentation sensible du nombre de processions extraordinaires. Les magnas, les anniversaires, les couronnements et divers autres événements ont occupé presque tous les mois de l’année en Andalousie, ce qui peut provoquer une saturation ou une certaine usure des cercles de fraternité. Bien que nous débattions de cette question plus tard, nous entendons dans les conversations et les débats une conclusion plus récurrente que prévu : la perte d’illusion.
Je crois fermement qu’il appartient à chacun de doser sa participation aux processions en fonction de sa façon particulière de calibrer le temps, mais la magie de l’attente conserve une série de vertus qui la maintiennent vierge, pure et éloignée de toute autre célébration. Et, surtout, parce qu’elle maintient la surprise en vie, cette condition que notre monde artificiel et prévisible s’efforce de limiter et de diluer.
Je garde encore en mémoire, sous le coup de l’adolescence, cette nuit de janvier où, au détour d’un virage du centre ville, un bon ami et moi sommes tombés nez à nez avec une répétition de costaleros. Il était tard ; la lumière de l’aube étendait son large mackintosh sur les artifices légers des franchises. Le froid, son propre froid. Dans la rue Tetuán, le seul bruit que l’on entendait était le sifflement méthodique et systématique des espadrilles de la cuadrilla del misterio del Duelo. Des éclats néogothiques perçaient à travers les tissus et une seule voix écrasait le silence d’une rue maculée d’agitation. Quelques minutes, peut-être quelques secondes ; un coup de marteau et les échasses touchent le sol. Ce sont ces flashs qui nous ramènent et réveillent l’illusion de Pâques.
Jeudi dernier, le paso de misterio del Cristo del Desamparo y Abandono de la confrérie Hermandad del Cerro del Águila, afin d’assurer le bon déroulement de la confrérie le mardi saint prochain, a traversé le centre de la ville à la recherche de la rue Francos. Tel un avion dans la largeur océanique du ciel, le cortège a plané avec la fermeté et la détermination que lui attribue la génétique de la confrérie. Le cortège retournera dans son quartier en empruntant cette rue, comme il y a quelques décennies, mais le paso n’est pas le même, et il fallait veiller à ce que les dimensions d’un tel navire respectent le physique de ces rues. La manœuvre, passionnante et serrée, a rassemblé des dizaines de frères et sœurs qui, qu’ils le sachent ou non, dépoussièrent ce chapitre de l’attente au nom de la ville. Cette anticipation de l’illusion. Si le Cerro s’inscrit dans le cœur de chacun d’entre nous, comment ne pourrait-il pas s’inscrire dans celui des Francos.