Depuis des temps très anciens, et en grande partie soutenus par le caractère populaire des habitants du quartier, San Gil et la Macarena ont développé un signe identitaire marqué qui a été à l’origine d’innombrables épisodes de toutes sortes : anecdotiques, politiques, sociaux, culturels… Et anthropologique.
Non sans un sourire mordant, nous relisons l’un des chapitres de « Sevilla : Teoría y realidad de la Semana Santa », dans lequel l’auteur, Antonio Núñez de Herrera, déroule, comme dans une bande dessinée qui se dessine au fur et à mesure de la lecture, l’orgueil blessé des Macarenos lorsque les hautes autorités ecclésiastiques (le cardinal de Navarre, pour être précis) nommèrent pour la Hermandad de la Macarena, par voie d’imposition, un Hermano Mayor qui n’était nullement accepté par les voisins. A tel point que depuis les balcons, les portes et les couloirs, ils ont jeté de la peinture bleue sur le pauvre « infiltré » en signe de protestation.
Parce que le voisinage et la fraternité ne peuvent se comprendre l’un sans l’autre. Cette histoire de révolution en bleu (comme l’appelait le journaliste) s’est déroulée à la fin des années 1920, alors que la ville – et donc la semaine sainte – traversait un épisode de splendeur sans précédent. Quelques années plus tard, des fusées impies revendiquent une partie de l’héritage de la Macarena. Près, très près de là, le Señor de la Sentencia était caché. Précisément dans la Calle San Luis, à quelques pas du Mudejar par lequel sont passés tant de monarques castillans.
Bien qu’à nos yeux il ne s’agisse pas d’un spectacle inédit (le Via Crucis du premier vendredi du Carême, la procession d’octobre de la Vierge du Rosaire, le cinquantième anniversaire de la Vierge), le fait est que la rue San Luis a toujours vu défiler les nazaréens de la Macarena au cours de l’histoire. Autant de fois qu’il y a eu des processions matinales de la confrérie de San Gil, avant la construction de la basilique actuelle. Et même après la bénédiction de la nouvelle église, la rue a toujours été un axe sentimental et physionomique (cardo romain, ne l’oubliez pas) pour la confrérie. À titre d’exemple, voici quelques photographies tirées du magazine LIFE dans les années 1950.
Au printemps prochain, le vendredi étant déjà terminé, le paso de la Sentencia, proche de minuit, retournera comme toujours à son quartier par cette vaste et verticale ruelle de Séville. Et avant d’atteindre la Macarena, tel le Roi des Rois ressuscité (triomphant et définitif), il s’arrêtera devant ce retable en céramique qui scellera, dans notre fragile mémoire, près d’un siècle d’histoire de la Macarena. Où, précisément, les habitants du quartier font passer leur identité et leur fraternité avant toute déraison, dans le seul but de se préserver et de protéger leur propre histoire. Ce qu’ils étaient, ce qu’ils sont, ce qu’ils seront. Quand une tombe en bois a découvert la résurrection humaine du Señor de la Sentencia. Ce sera le 8 avril.