Le coupable de toutes les omissions, entraves et retards, de l’inachèvement des travaux, et plus récemment de ceux du PNR, est désormais unanimement identifié : c’est la bureaucratie ; et la réponse invoquée est la simplification. Avec cette analyse, depuis un certain temps, les gouvernements se reprochent leurs propres inefficacités, les résultats manqués et les objectifs non atteints, comme si la bureaucratie vivait en dehors du temps et de l’espace et qu’il n’appartenait pas aux gouvernements de résoudre le problème. L’identification du coupable est facilitée par le fait qu’il s’agit d’un cas aux contours indéfinis et que, par conséquent, une pluralité de figures peuvent y être associées : l’administration publique, tous les fonctionnaires, le « public » en général. En effet, la délégitimation de la bureaucratie a entraîné avec elle l’ensemble de l’administration publique et du « public », supposé a priori inefficace par opposition au « privé » a priori efficace.
Chaque nouveau gouvernement s’est fixé pour objectif de s’attaquer au problème en créant également des structures, voire des ministères, pour la réforme de la bureaucratie et la simplification. Les gouvernements précédents l’ont fait, l’actuel le fait et ceux à venir le feront certainement aussi. Lorsqu’un phénomène persiste dans le temps et résiste à toutes les tentatives de le supprimer, il faut se demander quelles sont les raisons profondes de ce phénomène et pourquoi les mesures adoptées se sont révélées inefficaces, voire nuisibles. Il convient tout d’abord de noter que le phénomène bureaucratique existe et est étudié depuis plusieurs décennies dans tous les pays du monde. Il correspond à une attitude de l’âme humaine qui tend à exorciser le risque, à fuir la responsabilité, à se retrancher derrière le respect de la forme indépendamment des résultats à atteindre et de la protection des intérêts sous-jacents. Dans la sphère publique, le phénomène se manifeste de manière emblématique car la mosaïque de règles rend toute opération incertaine et expose les agents à différents types de risques. Il en résulte une tendance à ne pas agir, à se retrancher derrière le « on ne peut pas » alors que l’on pourrait, voire que l’on devrait. C’est pourtant le côté faible d’une activité qui correspond aux intérêts fondamentaux des individus et des communautés. Le cardinal Zuppi l’a rappelé récemment : « Les institutions ne sont pas un appareil bureaucratique froid. Elles sont un outil essentiel pour construire et promouvoir des biens et des valeurs qui sont absolument indispensables à la qualité de vie des individus et des communautés », « des personnes y travaillent … dans des conditions difficiles … dont le service n’est pas toujours apprécié ».
Une certaine complexité de l’action administrative n’est pas une mauvaise chose ; elle découle de la nécessité de protéger des intérêts divers. Les grandes réformes des années 1990, et en particulier la loi 241, ont remplacé la logique de la mesure autoritaire par celle de la procédure, qui doit rassembler, avant de fournir, tous les intérêts en présence. La protection passe par la participation. Il s’agit là d’un grand acquis de la culture juridique. Il est vrai que depuis lors, également en raison de ce que nous avons appelé « la multiplication des droits », les procédures sont devenues plus nombreuses, elles peinent à aboutir, les mesures qui en résultent sont plus exposées aux recours devant les tribunaux, où elles portent en elles leurs propres incertitudes, avec des résultats souvent décevants (il suffit de penser que 40 % des jugements du Tar (Tribunal administratif régional) qui font l’objet d’un recours sont annulés par le Conseil d’État). On comprend donc que la tentation soit grande de procéder à une simplification, mais le risque est de ne pas sélectionner les aspects positifs des aspects négatifs.
Ces dernières années, nous avons assisté à une législation schizophrénique qui, d’une part, augmente les intérêts à protéger et, d’autre part, augmente les organes qui doivent le faire, en oubliant l’enseignement qui remonte à saint Thomas : entia non sunt multiplicanda sine necessitate, D’autre part, elle procède à des simplifications sauvages. La complexité organisationnelle est accrue et les procédures qui en résultent sont simplifiées. En effet, la simplification est très complexe car, si elle est bien faite, elle implique une analyse des intérêts et un choix de ceux à protéger. Quelques exemples peuvent être utiles. Depuis longtemps, toutes les procédures ayant un impact sur l’aménagement du territoire ne peuvent ignorer la protection du paysage et du patrimoine historique et culturel. Cela a été prescrit par la Constitution de 1948 qui, comme nous le savons, ne prévoyait pas une protection similaire pour l’environnement, qui n’a été introduite que récemment dans le texte constitutionnel parce que le problème ne s’était pas posé dans le passé. Aujourd’hui, il existe donc également une contrainte environnementale qui répond à un intérêt essentiel, également d’importance européenne, et il existe des autorités spéciales qui veillent à son respect. Le délai de procédure qui en résulte est essentiel pour la protection de l’environnement. Mais d’autres intérêts sont apparus, toujours avec des organes de protection, par exemple les intérêts dits de la vie privée et de la lutte contre la corruption, et ils entraînent eux aussi une charge pour les activités de l’administration.
Il faut faire un choix : si l’on part du principe que tous ces intérêts doivent être protégés, il est erroné de se décharger du problème sur la bureaucratie et d’invoquer toutes sortes de simplifications. Dans le cas contraire, il faut faire un choix. On ne peut pas sacrifier l’intérêt pour l’environnement, pour des raisons plus qu’évidentes, mais on peut se demander si toutes les charges dérivant de l’Autorité pour la protection de la vie privée (dont les fonctions sont certes utiles mais aggravent parfois de manière disproportionnée les activités des administrations et aussi celles des particuliers) et de l’Autorité anti-corruption, envahissante pour chaque appel d’offres qui ralentit les procédures et fait peser une charge sur chaque poste contractant et sur les opérateurs privés pour les recettes de son propre fonctionnement auquel le nouveau code des marchés publics a ajouté la moitié du montant des sanctions qu’elle dispense elle-même. Il n’est pas évident que la lutte contre la corruption passe nécessairement par ce type d’intervention. D’autres types de charges résultent de la nécessité de soumettre les activités des administrations à des contrôles, notamment celui de la Cour des comptes, pour s’assurer de leur légitimité et mesurer leur efficacité. Mais il n’est pas nécessaire que le contrôle soit concomitant à l’exercice de l’activité, avec une aggravation évidente, à tel point que jusqu’à récemment ce type de contrôle n’existait pas et qu’on ne voit donc pas pourquoi il ne pourrait pas être supprimé, en maintenant les contrôles traditionnels.
La question de la simplification ne se prête pas aux raccourcis. La nécessité de poursuivre les objectifs du PNR conduit à des formes de simplification qui ne sont pas toujours calibrées, surtout si elles sont considérées comme applicables en dehors de l’urgence. Même la « solution de Gênes », tant vantée, n’est pas reproductible car elle rendait inopérantes toutes les règles autres que pénales et, entre autres, était déroutante car elle maintenait inévitablement l’efficacité des règles européennes. Ce qu’on ne peut pas faire, en revanche, c’est continuer à abîmer l’Administration publique, avec une réduction des effectifs qui mine son fonctionnement (la règle qui prévoit de nouvelles embauches également pour favoriser la réalisation des objectifs du PNR est donc bienvenue) et avec le spoil system, appliqué d’abord par la gauche (au nom de la séparation entre politique et administration) et maintenant par la droite, au nom de l’efficacité que l’on obtiendrait en plaçant les hauts fonctionnaires dans une condition de subordination totale à la politique. La condition d’une Administration efficace, qui atténue les aspects négatifs de la bureaucratie, est le respect du personnel qui y travaille.